Mères porteuses : des maux de la stérilité aux mots de la procréation
Les médias ont en effet tendance à se focaliser sur les aspects négatifs et spectaculaires de cette pratique, notamment lorsqu'une
mère porteuse refuse de donner l'enfant au couple commanditaire après la naissance (1). Alors, loin des scénarii de " ventre
à louer " ou de " bébé à vendre ", de quoi parle-t-on exactement ?
Cas de figures
Deux cas de figures peuvent se présenter. Dans la méthode " traditionnelle ", la mère porteuse et le père commanditaire sont
les parents génétiques de l'enfant à venir, dont la conception a eu lieu par insémination. Dans cette situation, on peut désigner
la mère porteuse en termes de " mère de substitution ". Mais depuis le développement des techniques de fécondation in vitro,
il est possible également de transférer chez la mère porteuse un embryon issu des gamètes de chacun des partenaires du couple
commanditaire. Dans cette situation, le rôle de la mère porteuse est purement gestationnel, il s'agit d'une " mère porteuse
" au sens strict et l'enfant est génétiquement lié aux deux parents qui l'élèveront.
Porter un bébé pour une autre femme est une des procédures les plus controversées dans le champ des techniques de procréations
médicalement assistées (1). Dans les pays tolérant ou autorisant cette pratique, comme par exemple en Grande-Bretagne, les
études scientifiques montrent que les indications du traitement restent limitées (2). Les femmes qui font appel à une mère
porteuse présentent des pathologies précises : l'absence d'utérus, résultant d'une anomalie congénitale ou consécutive à une
hystérectomie, des fausses-couches répétées, une contre-indication médicale à la grossesse ou de nombreux échecs de fécondation
in vitro. Ainsi, certains couples tentent d'avoir un enfant depuis plusieurs années avant d'envisager le recours à une mère
porteuse (3). Quoi qu'il en soit, cette décision s'inscrit après un long parcours d'infertilité, d'investigations et éventuellement
de traitements. Elle n'est par ailleurs jamais facile à prendre, ce qui tendrait à rendre infondées les craintes d'un recours
à cette pratique pour des raisons de convenance.
Risques
Du coté des mères porteuses, la grossesse et la mise au monde d'un enfant ne sont pas sans risques physiques, médicaux et
psychologiques, notamment un risque évident de dépression du post-partum (1 et 4). Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, ce
risque se monnaie mais le paiement n'apparaît pas comme étant le facteur principal de motivation ; des raisons altruistes
seraient également invoquées (H. Ragoné, cité par V. Javda et al., 2003). Par contre, en Finlande, les mères porteuses, désireuses
d'aider une parente ou une amie proche, sont totalement " volontaires et altruistes ". Toutes les parties concernées passent
alors un accord et bénéficient d'un soutien pendant les traitements, la grossesse et lors de l'adoption de l'enfant par le
couple commanditaire (4). Une prise en charge globale qui pourrait servir d'exemple à de nouveaux pays légalistes et de garde-fou
aux éventuelles dérives.
Ce qui fonde la maternité
Depuis plusieurs décennies, le recours aux moyens de contraception a engendré une fragmentation de la fonction de reproduction
en séparant la sexualité de la reproduction. Actuellement, le développement des techniques de procréation médicalement assistée
(PMA) permet de séparer l'expérience de la maternité de la gestation et ce par l'implication d'un tiers dans l'unité constituée
par le couple parental (5). Les questions sociétales qui résultent de cette fragmentation portent sur ce qui fonde la maternité
aujourd'hui : le lien génétique, utérin, social ou le désir qui a précédé l'arrivée de l'enfant ? La mère d'un enfant est-elle
partout et toujours celle qui l'a accouché (6) ? L'existence d'un mot pour désigner une pratique est sans doute le meilleur
indice de la capacité à penser celle-ci. La " gestation pour autrui " renvoie aux notions de gestation et d'altérité, tandis
que le terme de maternité (de substitution ou de suppléance) recouvre quant à lui une signification propre en droit de la
filiation et une double réalité biologique : celle de la conception et de la mise au monde. Or, ces deux composantes sont
ici dissociées. C'est ainsi que se posent alors les questions psychologiques pour l'enfant à venir : les influences réciproques
de la mère et de l'enfant durant la période prénatale sont actuellement bien connues et les questions portent sur la rupture
que vivra l'enfant dans son expérience entre l'intra-utérin et l'extra-utérin. Mais l'on peut faire l'hypothèse que la mère
commanditaire, comme les mères adoptives d'ailleurs, est à même d'assurer au bébé une continuité expérientielle et existentielle.
Françoise Cailleau Service de psychologie du développement
Faculté des Sciences psychologiques et de l'éducation - ULB
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" Mère porteuse ", " mère de remplacement ", " location d'utérus " ou " prêt d'utérus ", " grossesse par procuration ", "
maternité de substitution " ou encore " de suppléance "... la pratique de la " gestation pour autrui " est désignée par un
vocabulaire multiple qui ne manque pas, surtout lorsqu'il est utilisé par les médias, d'alimenter nos imaginaires.
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(1) V. Javda et al., Surrogacy : The experience of surrogate mothers, Human Reproduction, vol.18, n°10, 2003, pp.2196-2204.
(2) P. R. Brinsden et al., Treatment by in vitro fertilisation with surrogacy: experience of one British Centre, BMJ, vol.
320, april 2000, pp. 924-929.
(3) Une étude de F. MacCallum fait mention d'un nombre moyen d'années de 7,5 années. Voir F. MacCallum et al., The experience
of commissionning couples, Human Reproduction, vol.18, n°6, 2003, pp.1334-1342.
(4) V. Soderderstrom-Anttila et al., Experince of in vitro fertilisation surrogacy in Finland, Acta Obstet Gynecol Scand 81,
2002, pp. 747-752.
(5) O. van den Akker, The importance of a genetic link in mothers commissioning a surrogate baby in the UK, Human Reproduction,
vol.15, n°8, 2000, pp.1849-1855.
(6) M. Iacub, L'Empire du ventre, Fayard, Paris, 2004.
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