Apprendre à tendre une oreille critique
" Les médias doivent à la fois être un auxiliaire d'apprentissage, au service de bien des disciplines, et un objet d'études,
pour faire de l'élève un bon usager, spectateur actif et critique et, au-delà, acteur du monde de la communication, capable
de s'exprimer en usant de tous les outils qui peuvent être mis à sa disposition, à la fois émetteur et récepteur, départ et
arrivée de messages " (2). C'est en ces termes que Gabriel Thoveron, sociologue des médias et ancien professeur émérite de
l'ULB, concluait le numéro de la revue " La pensée et les hommes " consacré aux médias. Le projet qui amène environ trois
groupes d'élèves du secondaire par an dans les studios du Radio Campus incarne à merveille cette conception de l'éducation
aux médias par les médias.
Depuis son lancement en 2001, le projet débute par un appel adressé aux chefs d'établissement des écoles secondaires de la
région bruxelloise au début du mois d'octobre. Les classes intéressées déterminent alors le sujet de " leur " émission radiophonique.
Ainsi, par exemple, en 2005-2006, des élèves de 5e secondaire ont choisi le vieillissement et une classe de 2e, interloquée
par les émeutes dans les banlieues françaises, s'est penchée sur la révolte. D'autres avant eux avaient choisi de parler à
la radio du clonage, du conflit israélo-palestinien ou encore de l'excision. Des sujets variés, et parfois très " chauds "
qui démontrent bien que l'étiquette " je m'enfoutiste " qui colle à la peau des jeunes ne leur correspond pas et qu'ils sont
réellement concernés par les questions d'actualité.
La voix des adultes de demain
Pendant 5 à 6 mois, plusieurs rencontres sont organisées entre les élèves et des professeurs et assistants de l'ULB, sous
la forme d'exposés introductifs/conférences et de questions/réponses. L'encadrement journalistique et technique est assuré
par Radio Campus : un journaliste vient expliquer en classe comment l'émission sera construite et comment les jeunes participeront
au montage et au mixage des séquences. Avec l'aide d'un conseiller du recteur ou d'un membre de la cellule RESPI, il aide
les élèves à choisir - le plus souvent dans le panel des professeurs et chercheurs de l'Université -, les intervenants, experts
ou témoins qu'ils devront interviewer.
Étape importante du projet, une formation à la critique des médias avec le Pr. Jean-Jacques Jespers - qui anime un atelier
identique destiné aux étudiants en journalisme à l'ULB - est organisée. Ce dernier interpelle les jeunes. Par exemple, avec
la fable de la " ménagère-pomme de terre " : celle qui regarde la télévision d'un il distrait et qui " gobe " tout ce qu'elle
voit. Cette nécessité de ne pas prendre pour vérité ce qui sort de la bouche des journalistes génère parfois un brin de perplexité.
" On ne sait plus qui croire ! " s'exclament certains. Une belle façon d'expliquer aux jeunes qui approchent doucement de
la majorité que l'information n'est pas une question de croyance, mais bien d'événements, de faits concrets sur lesquels chacun
est en droit de se forger sa propre opinion.
" Radio Campus à la rencontre du secondaire " veille également à donner à tous les jeunes l'occasion de participer au projet.
En accordant la priorité aux écoles en discrimination positive, la possibilité est offerte à des jeunes qui se sentent parfois
en marge ou peu écoutés, d'être entendus par des milliers d'auditeurs. Ceux de Radio Campus d'abord, et ceux de la Première
ensuite puisque, dans un second temps, les élèves participent à l'émission " Quand les jeunes s'en mêlent ". Ils échangent
alors leur casquette de journaliste contre celle d'invité d'un débat. " Notre émission a pour but de les faire réfléchir.
Ils ont travaillé leur sujet, donc ils ont souvent les idées claires mais nous les poussons à affiner leur raisonnement ",
commente Lionelle Francart, co-animatrice de " Quand les jeunes s'en mêlent ".
L'éducation par la radio
Selon le Conseil de l'éducation aux médias de la Communauté française, " éduquer aux médias, c'est rendre chaque jeune capable
de comprendre la situation dans laquelle il se trouve lorsqu'il est le destinataire de messages médiatiques ". Dans le cadre
de ce projet, les jeunes appréhendent également l'information avant sa diffusion, comme le fait l'émetteur. " Cela leur permet
de poser un autre regard sur les sujets qu'ils ont choisis et d'envisager autrement les informations que les médias diffusent
", témoigne Corinne Duckstein, responsable de la cellule RESPI. Les discussions en classe et le travail préparatoire les amènent
à se rendre compte du caractère partiel et souvent partial d'un sujet en fonction de son angle d'attaque. L'apprentissage
de la démarche journalistique, la compréhension de ses contraintes, de ses limites et de ses dérives débouchent sur le développement
de l'esprit critique. Et attirent l'attention des jeunes sur le rôle qu'ils ont à jouer en tant que citoyen.
Amélie Dogot
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En 2001, la cellule RES(1) lançait un projet d'éducation aux médias impliquant étroitement la radio associative de l'ULB.
" Radio Campus à la rencontre du secondaire " entend développer l'esprit critique des jeunes en les amenant à découvrir activement
le métier de journaliste radiophonique. Aujourd'hui, ce projet d'éducation aux médias est à l'aube de sa 6e édition.
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(1) Cellule Relations avec l'enseignement secondaire et supérieur hors université. Depuis cette cellule a été rebaptisée Service
des relations avec l'enseignement hors ULB, promotion et information (RESPI).
(2) Alternatives en guise de conclusion par Gabriel Thoveron dans Médias : Information ou manipulation ? La pensée et les
hommes, n° 40, 2ditions de l'Université libre de Bruxelles, 1999, p. 90.
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