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Après coup - La cohabitation culturelle, enjeu du XXIe siècle

" Soyez fiers d'être Belges ! Vous jouez un rôle fondamental dans l'Europe, même si vous n'en n'êtes pas toujours conscients... ", c'est en ces termes flatteurs que Dominique Wolton prend contact avec un Janson bien rempli, notamment par de nombreux étudiants venus l'écouter, en cette soirée d'octobre. Une soirée où il nous parlera de problèmes de " tuyauterie " - téléphones, radios, télévisions, internet... - et de récepteurs. Son propos peut se résumer en ces termes : on peut passer des heures avec des machines, sans être capable d'entretenir des relations humaines et sociales satisfaisantes. Le progrès technique ne suffit pas pour créer un progrès de la communication humaine et sociale. L'essentiel de la communication n'est pas du côté des techniques mais du côté des hommes et des sociétés.

Accélérateurs de conflit

4,5 millions de radios ; 3,5 millions de TV ; 1,5 millions de portables... Et tout ça pour quoi ? Le monde n'a jamais été aussi informé sur ce qui se passe dans le moindre recoin de la planète : qu'est-ce que ça change ? Rien, nous dit Dominique Wolton. L'information ne nous permet pas de mieux nous comprendre ou nous apprécier. Au contraire, elle renforce l'altérité. L'autre, cet inconnu, fait peur... La technologie menace car elle pourrait bien être un accélérateur de conflits, d'incommunication, d'hostilité. Pourquoi ? Parce que nous sommes tous différents, culturellement.

Depuis la chute du Mur, l'information et la communication se sont emballées. Le village global de Mac Luhan était une utopie, un idéal. C'est en train de devenir une idéologie, explique-t-il. Dès 1989, on entre dans l'ère de la mondialisation. Le discours dominant prône l'économie de marché comme facteur d'intégration. " La démocratie suivra... " entendait-on. Mais, au fond, pourquoi les choses fonctionneraient-elles comme cela ?

Par ailleurs, la montée en puissance des industries culturelles mondiales (les conglomérats de médias TV, cinéma...), n'a fait que renforcer l'unicité de l'offre, réduisant la diversité culturelle à peu de chose. C'est le modèle américain, symbolisé par la toute puissance de CNN. Le résultat, pour cette dernière, ne fut-il pas le renforcement de l'antiaméricanisme ?

Le triangle infernal

Identité-culture-communication. Il faut, nous dit Wolton, renforcer les identités culturelles, les racines de chacun. Culture et communications doivent devenir des enjeux politiques fondamentaux. Et d'affirmer son scepticisme sur le concept de cosmopolitisme, créé par des gens ayant des identités fortes (les élites mondiales) pour des centaines de millions d'autres souffrant d'une perte de vitesse en matière d'identité culturelle.

Nous en serions à la troisième mondialisation : après la création de l'ONU, après la mondialisation économique depuis 25 ans, voici venu le temps de la cohabitation culturelle, qui est à construire. Il faut le respect de la diversité culturelle, dans les règles démocratiques. Ce qui est difficile mais indispensable. Cela passe par la défense des langues, des patrimoines, des histoires, des cultures nationales - " même si ce terme est ambigu ", souligne-t-il.

L'Europe, un chantier

" Le défi de la communication est moins de partager quelque chose avec ceux dont je suis proche que d'arriver à cohabiter avec ceux, beaucoup plus nombreux, dont je ne partage ni les valeurs ni les intérêts. Il ne suffit pas que les messages et les informations circulent vite pour que les hommes se comprennent mieux ", explique Wolton. Si l'on pense l'information et la communication en termes uniquement technologiques ou économiques, cela va se retourner contre nous.
L'Europe, aujourd'hui, peut être un excellent exemple pour le reste du monde, conclut-il. C'est un formidable chantier, un laboratoire dont nous ne serions pas assez conscients. Comment non pas intégrer les cultures de chacun, mais apprendre à cohabiter, à se tolérer mutuellement ? C'est un des enjeux de la communication, un enjeu éminemment politique.

Alain Dauchot
Journaliste

Dominique Wolton est un des grands théoriciens actuels de la communication. Comme le soulignait Michel Meyer, qui introduisait le débat de Cultures d'Europe intitulé " Information et communication : enjeux politiques du XXIe siècle ? ", son approche est démystificatrice de beaucoup d'idées reçues. Pour lui, l'information et la communication, qui ont été pendant des siècles des facteurs de liberté et de progrès, peuvent devenir aujourd'hui des facteurs de chaos...



L'invité
Après Pascal Bruckner et André Comte-Sponville, c'est Dominique Wolton qui était accueilli dans le cadre de " Cultures d'Europe " à l'ULB. Licencié en droit et docteur en sociologie, Dominique Wolton est directeur de recherches au CNRS et directeur de la revue Hermès. Ses travaux portent sur l'analyse des rapports entre la communication, la société, la culture et la politique.

Prochain conférencier :
Un astéroïde porte aujourd'hui son nom : Hubert Reeves a depuis longtemps la tête dans les étoiles. Astrophysicien né en 1932 à Montréal, ce scientifique est surtout connu du grand public pour les ouvrages qu'il a consacrés au cosmos et à l'apparition de la vie sur terre. Son livre " Patience dans l'azur " reste pour beaucoup un chef-d'oeuvre de vulgarisation.
Il connaît bien l'Université libre de Bruxelles puisqu'il y fut professeur invité, en 1964-1965. Il a également été fait docteur honoris causa de notre Université en 1992.
Il sera le prochain invité - après Umberto Eco, reçu dans le cadre d'Europalia, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, le 6 novembre - de Cultures d'Europe, le 10 décembre prochain.
Infos : Service cérémonies 02 650 23 03

 
  ESPRIT LIBRE > NOVEMBRE 2003 [ n°17 ]
Université libre de Bruxelles