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esprit libre

[à l'université]
 
 
 
La paix en novembre, avec le Pôle Bernheim

Esprit Libre : Le Pôle Bernheim édite deux ouvrages consacrés à la paix, dont le premier s'intitule " L'Art de la Paix ". Quelle était l'idée de départ de ce livre ?
Éric Remacle : Une des caractéristiques d'un art de la paix est de resituer la question de la paix dans ses dimensions sociétales et historiques. C'est ce que ce livre tente de faire en associant des chercheurs de diverses disciplines - philosophie, sociologie, psychologie, sciences politiques, droit, santé publique - pour avoir une appréhension beaucoup plus large du phénomène et notamment pour le réfléchir tant dans ses dimensions internes (violence contre les femmes, racisme...) que dans ses dimensions macro.
Thomas Berns : Un des départs du livre est de refuser l'idée qu'il y aurait un savoir acquis ou une " technique " de la paix. Nous avons fait appel à des regards très précis, comme celui d'une psychologue qui travaille sur le phénomène de la résilience, cette faculté qui permet de résister à un état de guerre alors même que l'on s'y trouve. Ou encore, à des regards médicaux, qui peuvent également apporter des éclairages précieux sur la question de la guerre dans ses dimensions les plus réelles.
Benjamin Denis : L'aspect transdisciplinaire correspond aussi assez bien à l'évolution contemporaine de l'étude scientifique des problématiques de paix, ce que l'on appelle les peace studies. Pendant longtemps, elles se sont cantonnées à l'étude des conséquences et des causes directes des conflits. Depuis quelques années, on tend à élargir le spectre.

Esprit Libre : Quels sont les thèmes essentiels abordés ?
Benjamin Denis : Il y a trois temps. Le premier concerne le passage de l'état de guerre à l'état de paix, avec la volonté d'identifier ce qui, dans des situations qualifiées de paix, pouvait mener à des situations de conflit et réciproquement. Le deuxième concerne la culture de la paix, son ancrage dans le vécu social. Le troisième aborde l'aspect plus classique de la paix en tant qu'enjeu international : la fonction pacificatrice régulatrice du droit international a-t-elle toujours droit de cité ?...

Esprit Libre : Dans " Dimensions of Peace and Security. A Reader ", vous mettez en évidence le fait que notre regard sur le monde et les questions de sécurité est pour le moins tronqué, lacunaire...
Éric Remacle : Nous nous sommes posé la question de savoir s'il y a de nouvelles formes de guerre ou de nouvelles formes de problématiques à l'intérieur des guerres. De ce point de vue, ce qui apparaît comme nouveau reste finalement relativement ancien. Mais ce qui est nouveau, c'est le regard porté sur les guerres. Ce regard est porté par le discours dominant - celui du monde " occidental " et notamment des médias. Et c'est effectivement une manière de regarder le monde en fonction de la seule perspective de sécurité...
Natalie Pauwels : ... oui, en effet, il est vrai que les médias présentent un monde tout à fait préoccupé par les problèmes de terrorisme par exemple, en oubliant de parler de beaucoup d'autres aspects qui apparaissent plus cruciaux pour la majorité de la planète. On continue dans le monde à oeuvrer pour le désarmement, contre les mines antipersonnel et l'utilisation d'enfants soldats, pour l'élimination des bombes à fragmentation... Par ailleurs, l'agenda de la guerre froide se poursuit, dans d'autres directions. Il y a aussi une coopération entre États au-delà de celle entre superpuissances. Il y a donc également des points positifs dans le domaine de la sécurité, de la coopération entre les États. On en parle dans notre ouvrage, alors que les médias ignorent en général ces aspects-là...

Esprit Libre : En trois ans, le Pôle a, semble-t-il, trouvé sa place dans notre Université...
Éric Remacle : L'idée de diffuser à l'intérieur et à l'extérieur de l'Université une culture de paix a eu un impact enthousiasmant. Beaucoup de collègues ont intégré dans leurs cours des thématiques liées à la paix et à la citoyenneté. La paix ne peut signifier une " pacification ", mais doit au contraire servir à l'émancipation. En outre, nous accueillons chaque année des personnalités issues de grandes universités qui sont titulaires de la Chaire Bernheim ; nos programmes de recherche ont permis d'ouvrir de nombreuses pistes et des collaborations avec d'autres universités belges et étrangères sur la paix dans la région des Grands lacs, la question des sans-papier, celle de la prolifération nucléaire, le débat sur le développement durable... Nous voudrions à présent pouvoir consolider ce socle par la création, notamment, de cours permanents sur ces thèmes dans les différentes facultés et par l'insertion dans les meilleurs réseaux européens d'études sur la paix.

Alain Dauchot


 


Trois années d'existence pour le Pôle Bernheim Paix et Citoyenneté de l'ULB. Depuis trois ans, novembre est devenu un mois d'activité particulièrement intense pour le Pôle, puisque de nombreux professeurs de toutes les facultés intègrent la dimension " paix et citoyenneté " dans un de leurs cours. Cette année, un colloque sur le rôle des femmes dans les conflits est organisé les 29 et 30 novembre, et deux ouvrages sur la paix sont publiés. Pour en parler, rencontre avec Éric Remacle, Benjamin Denis, Thomas Berns et Natalie Pauwels.



Programme du colloque " Femmes dans les conflits " : http://www.ulb.ac.be/iee/polebernheim

Ouvrages parus :
L'Art de la Paix. Approche transdisciplinaire, Pierre Calame, Benjamin Denis et Eric Remacle, P.I.E. - Peter Lang, Bruxelles-Berne, 2004.>br/> Dimensions of Peace and Security. A Reader, Gustaaf Geeraerts, Natalie Pauwels and Éric Remacle, P.I.E. - Peter Lang, Bruxelles-Berne, 2004.

 
  ESPRIT LIBRE > NOVEMBRE 2004 [ n°26 ]
Université libre de Bruxelles