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Après coup La culture européenne, entre corrida et esperanto

Comme le rappelait Hervé Hasquin dans l'introduction à la conférence intitulée " Intégration européenne et culture : projet controversé ", Geremek est un homme engagé, un francophile pro-européen qui s'est fait connaître auprès de Lech Walesa dans le combat mené par Solidarnosc. Devenu député et président du groupe parlementaire de Solidarnosc en 1989, il a auparavant connu les prisons polonaises (en 1982), fut exclu pendant sept ans de l'Université de Varsovie, mais n'a jamais perdu son ardeur pour défendre la démocratie. Historien passionné par le Moyen Âge, les sujets de prédilection de ses recherches concernent la marginalité sociale, la délinquance, la pauvreté, la criminalité et l'exclusion. Il est aujourd'hui député européen.

" Si je devais recommencer l'Europe, je commencerais par la culture " : cette phrase, Jean Monnet ne l'a probablement jamais prononcée... " Mais il y a sûrement pensé ! " s'exclame Bronislaw Geremek, qui s'emploiera pendant près d'une heure à rappeler les étapes de l'intégration de la culture à la politique européenne. Comme le souligna Hervé Hasquin, dans les années 80-90, le visage de l'Europe fut par trop celui d'une lourde machine " économétrique " : " on a oublié que l'Europe possédait une culture, une civilisation qui donnait le ton dans le monde contemporain, qui avait fait progressé tant les libertés individuelles que religieuses ". Aujourd'hui, explique Borislaw Geremek, l'intégration européenne se trouve à la croisée des chemins ; elle doit remettre cet héritage au centre de ses préoccupations, de sa vision et de sa politique.

Depuis sa création, l'Union européenne a fait comme si la culture avait un cadre local, naturel, sinon national. Le traité de Maastricht a posé les bases pour une réelle politique européenne. Mais malgré cela... Il n'y a pas de projet culturel européen promu par l'Union. Or, après le 11 septembre, une conscience fautive s'est fait jour sur ce manque évident. Si la culture est l'héritage du passé, elle doit aussi être action et vision pour l'avenir.

Pourquoi la culture a-t-elle été considérée comme marginale aux premières heures de l'intégration européenne ? Car elle reproduisait les différences entre les peuples. Or, encore marquée par les drames de la seconde guerre mondiale, l'Europe souhaitait unir, réconcilier et non diviser. Par ailleurs, les adversaires de l'Europe parlaient de menace sur les langues nationales et les spécificités culturelles. Le principe de subsidiarité fit donc que la culture resta dans l'escarcelle des états.

S'inspirer d'Isocrate

Pourquoi voulons nous vivre ensemble ? Au-delà des différences civilisationnelles des peuples, il nous faut, dit Geremek, affirmer notre histoire commune. L'Europe, si longtemps terrain de batailles entre nations, a été capable de changer des ennemis en partenaires. C'est énorme ! Cependant, si l'Europe est un géant économique, elle reste un nain politique. Recentrer le débat européen sur la culture doit permettre de changer la donne, proclame Geremek. Mais actuellement, le budget européen consacré à la culture est de 0,1 %... Et de rappeler qu'il serait bon de s'inspirer d'Isocrate (philosophe du Ve siècle) qui, dans son Panégyrique, proposait d'appeler Grecs " ceux qui ont en commun avec nous la culture, plutôt que ceux qui ont le même sang ".

Au jeu des questions-réponses...

Le débat qui devait suivre la conférence fut plutôt animé et... varié. " Et la corrida ? " demande un auditeur : est-ce qu'elle fait partie d'une culture que l'Europe peut revendiquer comme sienne ou est-elle à bannir ? " La corrida peut-être pas, répond Geremek, les matchs de foot l'ont avantageusement remplacé aujourd'hui, non ? ". " Et les Turcs ? " questionne un autre... Après 40 ans d'intégration, il serait difficile de leur barrer la route. Un pays pauvre, laïc mais majoritairement musulman, à la démocratie encore déficiente, qui transforme son cadre légal pour s'adapter à la culture européenne : accepter la candidature de la Turquie, est un message positif pour le monde de l'Islam. " Et les Marocains, et les Tunisiens, poursuit Stéphane Berns, du Soir, pourquoi pas eux alors ? ". Chaque génération a ses questionnements, ses défis, souligne Geremek, en rappelant l'émotion provoquée par la candidature de la Grande-Bretagne dans l'Union et la parole de De Gaulle à l'époque : " mais c'est une Ile ! ".

" Et l'esperanto ? " enchaîne un autre auditeur... Pourquoi ne pas en faire la nouvelle langue des peuples de l'Union ? " Ce serait très beau effectivement - je l'ai étudiée quand j'étais jeune et j'invite tout le monde à apprendre cette langue ", confie Geremek. En remarquant toutefois que, même si c'était une invention polonaise, il y avait peu de chances pour qu'elle s'impose d'elle-même...

Alain Dauchot


Libre. Ce seul mot, placé au centre, entre Université et Bruxelles, a fait rêver Bronislaw Geremek. C'était en 1991. Hervé Hasquin, alors président de notre Maison, décernait, avec le recteur Françoise Thys-Clément, les titres de docteur honoris causa à des personnalités symbolisant cette nouvelle Europe, née de la chute du Mur : Arpad Göncz, Vaclav Havel... Geremek. Aujourd'hui, son pays est membre de l'Union européenne et Bronislaw Geremek croit encore rêver... Il était récemment à l'ULB pour parler du rôle de la culture dans l'intégration européenne.



 
  ESPRIT LIBRE > NOVEMBRE 2004 [ n°26 ]
Université libre de Bruxelles