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[à l'université]
 
 
 
Information scientifique : quand l'esprit est de moins en moins libre

Esprit libre : Pourquoi la problématique de l'accès aux publications scientifiques surgit-elle aujourd'hui ?
Françoise Vandooren : Parce que cet accès est menacé. De 1975 à 1995, les prix ont excédé l'indice d'inflation de 200 à 300%. Depuis dix ans, le support électronique, censé brider voire inverser cette tendance, engendre des coûts supplémentaires pour les bibliothèques. L'abonnement papier, plus la licence de la version électronique composent la première partie (alourdie) de la facture. Et les contrats proposés par les grands éditeurs favorisant les abonnements groupés (c'est-à-dire plusieurs revues pour une période de plusieurs années, avec pénalités en cas d'annulation) empêchent les institutions de moduler leurs achats et de s'adapter à l'offre du marché. Résultat : un marché gelé, des coûts de documentation de plus en plus lourds : de 7 à 10% d'inflation pour les périodiques et la documentation électronique. En 2006, ceci représente un budget total de 3.058.000 euros pour nos bibliothèques. Soit 5% d'augmentation par rapport à l'an passé. Et encore, nous sommes soutenus par la Communauté française (ce qui entraîne inévitablement des coûts supplémentaires pour la collectivité) et... des cours de change favorables à l'Euro !

Esprit libre : Quelles sont les parades à cette situation ?
Françoise Vandooren : De quatre ordres : créer des revues alternatives, publier des articles dans des revues en libre accès ou hybrides, déposer ses articles dans des archives thématiques et réaliser des dépôts institutionnels en libre accès. Pour résumer, les revues alternatives sont conçues par des comités éditoriaux qui décident de créer une revue de remplacement à but non lucratif. Les revues en libre accès reposent sur un mode de financement permettant une diffusion aussi large que possible, sans acquittement de droit d'accès. Dans certains cas, les frais d'édition de l'article sont couverts par l'auteur ou plutôt par son institution. Ils ne pèsent donc pas sur le lecteur, action d'autant plus positive que, dans certains pays, les autorités financent des plateformes " Open access ". Les revues hybrides, elles, sont expérimentées par de grandes maisons d'édition pour certains titres : dans la version électronique figurent des articles accessibles gratuitement, les frais d'édition étant acquittés par l'auteur. Les archives thématiques et les dépôts institutionnels permettent aux auteurs de déposer des copies électroniques de leurs articles sur un serveur d'archives en libre accès (thématique ou d'une institution).

Esprit libre : dans ce cadre, que fait pratiquement l'ULB ?
Françoise Vandooren : On est plus forts quand on agit solidairement : les bibliothèques des universités francophones se sont unies sous le sigle " Bibliothèque interuniversitaire " afin de négocier avec les éditeurs et d'obtenir des réductions grâce aux achats groupés. Dans ce cadre, un répertoire de publications est développé depuis 2004 (BICTEL/e). C'est ainsi qu'un répertoire des thèses électroniques est disponible à l'ULB, et depuis 2005, le dépôt des thèses de doctorat y est obligatoire. Prochainement, des dépôts institutionnels visant à recueillir les publications de nos chercheurs seront réalisés au sein de chaque Académie. D'autres initiatives, comme la sensibilisation des réseaux universitaires (songeons à UNICA, réseau des universités de capitales européennes), ou des études de marché aboutissant à des recommandations permettent d'ouvrir l'accès aux résultats de la recherche : en collaboration avec ECARES et l'Université de Toulouse, nous avons récemment établi un rapport de recherche sur cette question pour la Commission européenne (*). Cependant, nous savons que tous ces efforts seront d'une efficacité relative si l'ensemble du monde académique et nos autorités politiques ne se mobilisent pas plus fermement.

Pierre Efratas


Question : la recherche, qui se base sur l'information scientifique, constitue-t-elle un enjeu essentiel pour le développement économique et social ? Réponse unanime : oui. Question : l'information scientifique est-elle libre ou facilement disponible ? Réponse : absolument pas ! Elle est même de plus en plus chère et la situation ne cesse d'empirer. De sorte que la communauté scientifique et universitaire doit trouver des solutions alternatives. Etat des lieux avec Françoise Vandooren, Attachée à la Direction des Bibliothèques de l'ULB.



(*) Les auteurs de l'étude sont : ULB : M. Dewatripont, V. Ginsburgh, P. Legros, A. Walckiers, J.-P. Devroey, M. Dujardin, F. Vandooren. Université de Toulouse : P. Dubois, J. Foncel, M. Ivaldi, M.-D. Heusse.

En savoir plus, en quelques clics :
Combien coûte un abonnement à un périodique scientifique ? http://www.library.vanderbilt.edu/jcosts/
L'étude réalisée par l'ULB et l'Université de Toulouse pour la DG Recherche : http://ec.europa.eu/research/science-society/pdf/scientific-publication-study_en.pdf
Le rapport d'activités des bibliothèques de l'ULB, de 1998 à 2006 : http://www.bib.ulb.ac.be/fr/rapports-et-chiffres/rapports-dactivite/index.html
La crise de la publication scientifique : que se passe-t-il ? http://www.bib.ulb.ac.be/fr/crise-de-la-publication-scientifique/pourquoi/index.html
Les revues alternatives : SPARC http://www.arl.org/sparc/partner/index.html?list
L'annuaire des revues en libre accès : http://www.doaj.org/

 
  ESPRIT LIBRE > NOVEMBRE 2006 [ n°44 ]
Université libre de Bruxelles