Vers l'identification d'une cause d'infertilité féminine ?
Alpha-foetoprotéine. AFP. Un nom qui ne sonne pas vraiment neuf dans la communauté biomédicale : cela fait déjà une quarantaine
d'années que cette protéine a été découverte et qu'elle est utilisée à des fins de diagnostic. Une question centrale reste
pourtant ouverte : quelle est la fonction de cette protéine hautement régulée durant le développement - elle est très présente
dans la circulation ftale alors qu'il n'en reste que des traces dans la circulation d'un adulte - ?
Des chercheurs du Laboratoire de biologie de développement de l'IBMM dirigé par les Professeurs Claude Szpirer et Josiane
Roscam-Szpirer, étudient eux aussi l'alpha-foetoprotéine et en particulier la régulation de l'expression de son gène. Leur
hypothèse de départ ? Les défauts induits par l'absence d'AFP devraient apporter des indications sur le rôle joué par cette
protéine. L'équipe - Philippe Gabant, en tête - a donc détruit sélectivement chez la souris, le gène correspondant à l'alpha-foetoprotéine.
Et observé les résultats de cette invalidation.
Première surprise : les souris dépourvues d'AFP sont nées et ont grandi normalement.
Ces souris sont donc parfaitement viables alors qu'on pouvait raisonnablement supposer que l'AFP jouait un rôle vital.
Deuxième surprise : les souris femelles invalidées sont stériles - leurs ovaires ne produisent pas d'ovules -; les mâles sont
quant à eux normalement fertiles.
Les chercheurs ont ensuite pu démontrer que les ovaires invalidés reprenaient une fonction normale lorsqu'ils étaient placés
dans des souris normales : ces souris greffées ont donné naissance à des souriceaux issus d'ovules produits par les ovaires
invalidés, greffés. En revanche, les souris invalidées, greffées avec des ovaires normaux se sont révélées stériles.
Ces expériences ont montré que l'absence d'ovulation des souris dépourvues d'AFP est la conséquence d'un contrôle défaillant
exercé par l'axe hypothalamo-hypophysaire sur les ovaires : l'absence d'AFP a provoqué un défaut de cet axe.
Chez les femmes
Publiée en octobre dernier par l'Académie des sciences des USA, cette découverte sur l'AFP ouvre bien sûr une piste vers une
cause potentielle d'infertilité féminine chez l'humain. En collaboration avec l'asbl BioVallée et l'Institut de pathologie
et de génétique de Loverval, l'équipe de l'IBMM va essayer dès janvier 2003, de repérer des anomalies du gène de l'AFP chez
des femmes souffrant d'infertilité, à partir d'échantillons sanguins prélevés chez des patientes, et ceci afin de déterminer
si chez certaines de ces patientes, le gène de l'AFP n'est pas muté.
Ces recherches sur l'AFP sont bien sûr riches d'enjeux scientifiques et médicaux : comprendre une des causes de l'infertilité
féminine permettra, espèrent les chercheurs, de progresser dans le développement de tests diagnostiques, voire, dans l'élaboration
de nouveaux traitements de cette affection.
Elles illustrent aussi une des caractéristiques de la recherche fondamentale : les résultats obtenus ne sont pas nécessairement
de la pertinence attendue, ce qui ne leur enlève rien à leur intérêt. En effet, le Laboratoire de biologie du développement
avait initialement étudié l'AFP dans une perspective cancérologique, ce qui n'a pas empêché, in fine, l'obtention de résultats
importants dans un autre domaine médical, celui de l'infertilité féminine.
Et surtout, elles sont nées de la rencontre de compétences complémentaires : celles de l'Institut de biologie et de médecine
moléculaires de l'ULB qui a mis en évidence les caractéristiques surprenantes de l'AFP ; celles de l'asbl BioVallée qui vise
à valoriser cette découverte inattendue; celles de l'Institut de pathologie et de génétique (prochainement installé sur l'Aéropole)
qui se chargera de la collecte des échantillons de sang de femmes souffrant d'infertilité. La chaîne de compétences biomédicales
tourne sur l'Aéropole de Charleroi.
Nathalie Gobbe
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