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Hubert Reeves. L'heure de s'inquiéter ?

Esprit Libre : Votre dernier ouvrage, " Mal de Terre ", est particulièrement alarmant sur l'état de la planète. 11 ans après le sommet de Rio, quel est votre constat ? Vous pensez que l'espèce humaine court droit à sa perte ?
Hubert Reeves : Avec ce livre, écrit avec Frédéric Lenoir, je n'ai pas voulu donner une impression de pessimisme mais plutôt faire une mise en garde réaliste. Quand on est pessimiste, on ne bouge pas. L'espèce humaine va-t-elle disparaître ? C'est difficile à dire, mais c'est une possibilité. Notre espèce est à la fois la cause de la crise (et c'est la première fois), la victime potentielle et, la solution pour en sortir... Il nous faut réagir, et vigoureusement !

Esprit Libre : L'inégalité des richesses est pour vous une menace aussi importante que le réchauffement de la planète...
Hubert Reeves : Nous allons vers une situation dans laquelle une petite minorité - l'Europe, l'Amérique, le Japon - va profiter au maximum des richesses. La grande majorité est en train de devenir de plus en plus pauvre. Cette situation crée une instabilité fondamentale. Cette dichotomie socio-économique est très grave. La réunion de Cancun où les pays pauvres demandaient aux pays riches de cesser de subventionner leur propre agriculture est assez symptomatique à cet égard : cette demande n'a même pas été abordée ! Je crois que les batailles contre le terrorisme ne se jouent pas à Bagdad ou à Kaboul mais plutôt à Cancun et au niveau des organismes tels que l'OMS. Et les réponses qu'apportent nos pays à ces divers niveaux n'augurent rien de bon...

Esprit Libre : Qu'est-ce qui vous pousse malgré tout à être positif et optimiste ?
Hubert Reeves : Il y a un réveil certain des consciences. Quand on compare avec la situation des années 80 où les écologistes étaient considérés comme de doux rêveurs... Aujourd'hui, de nombreux mouvements se manifestent dans le monde. Je suis impressionné par exemple par ce qui se passe en Suisse au niveau du ministère de l'Environnement qui a un réel pouvoir d'action ; c'est la même chose dans les pays scandinaves : il y a un changement réel. La question est de savoir si ce changement sera assez rapide. Cela se jouera dans les décénnies qui viennent. Cela concerne nos enfants et nos petits enfants.

Esprit Libre : N'est-il pas primordial qu'on enseigne l'écologie à l'école de manière à sensibiliser au plus tôt les jeunes générations ?
Hubert Reeves : C'est essentiel. Cela devrait être enseigné dès la maternelle. De manière à concrétiser dès le plus jeune âge des gestes de tous les jours respectueux de l'environnement. Les jeunes peuvent avoir par ailleurs valeur d'exemple pour leurs parents...

Esprit Libre : Vous avez été professeur à l'ULB de 65 à 66. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Hubert Reeves : J'ai beaucoup aimé mon séjour à Bruxelles où je me suis fait beaucoup d'amis ; j'y retourne assez souvent. C'est une ville où je me sens toujours un peu chez moi. Il y a une ambiance particulière, un rapport plus simple avec les gens qu'en France par exemple.

Esprit Libre : Vous êtes connu pour être un vulgarisateur hors pair de notions scientifiques. Est-ce que cela n'attire pas sur vous les foudres de certains de vos collègues qui pensent avant tout à leur propre communauté et moins au commun des mortels...
Hubert Reeves : Peu me le reprochent... En tout cas, ils ne me le disent pas (rires) ! J'ai plutôt eu des échos positifs notamment par rapport aux demandes de subventions. Les décideurs qui sont sensibilisés par une approche vulgarisée défont plus facilement les cordons de la bourse pour financer la recherche.

Esprit Libre : Auriez-vous aimé vivre à une autre époque. Par exemple celle de Galilée ?
Hubert Reeves : Je ne sais pas. Souvent je me pose la question. Toutes les périodes ont leurs côtés sombres et plus éclairés... Notre époque est passionnante. Si Galilée revenait sur terre, il serait ravi de voir ce qu'est devenue la science qu'il a pratiquement lancée.

Esprit Libre : Au-delà de votre travail sur l'astrophysique et votre intérêt pour l'univers, avez-vous des passions, disons, plus proches de celles de Monsieur Tout le monde ?
Hubert Reeves : J'aime beaucoup la musique. Je suis impliqué dans un projet musical en tant que récitant. Nous faisons un spectacle qui s'appelle " Mozart et les étoiles " où l'on intercale des causeries sur les rapports entre la musique et la cosmologie. J'ai aussi été récitant pour " Pierre et le loup " ou même " Babar "...

Esprit Libre : Si vous deviez vous réincarner dans une espèce de la vie terrestre, en quoi aimeriez-vous revenir ?
Hubert Reeves : Probablement en chat. Les chats ont un savoir-vivre que j'aime beaucoup ! Ils ont une façon de se mouvoir, de profiter de la vie, une grâce naturelle que j'apprécie...

Alain Dauchot


Astrophysicien, Hubert Reeves est aussi et avant tout citoyen de la planète terre. Si il a la tête dans les étoiles, cet homme au look de vieux sage a également les pieds bien sur terre et s'inquiète à plus d'un titre de l'avenir de celle-ci. Il était récemment l'invité de " Cultures d'Europe " à l'ULB.



 
  ESPRIT LIBRE > DECEMBRE 2003 [ n°18 ]
Université libre de Bruxelles