Élections au Congo
Le droit de choisir, après 45 ans
Congolaises et Congolais auront ainsi attendu, quasi jour pour jour, 45 ans depuis l'indépendance pour que, avec le lancement
des premières opérations d'enregistrement des électeurs le 20 juin 2005, l'exercice du droit de choisir - et partant de sanctionner
tout aussi librement, leurs dirigeants - entre, enfin, dans une phase irréversible. Certes demeurent encore quelques-uns des
48 États subsahariens qui résistent toujours à l'avènement ou la consolidation d'un État de droit. L'enjeu, en amont, de l'organisation
d'élections libres, fiables et transparentes en RDC ne se situait donc pas dans le positionnement chronologique de l'État
congolais dans l'histoire récente de la démocratisation au Sud du Sahara mais, beaucoup plus fondamentalement, par rapport
à la redoutable force d'inertie des protagonistes congolais de la transition politique, amorcée en...1991 avec la Conférence
nationale souveraine.
Le regard international
Avec cette " longévité ", unique en Afrique subsaharienne aujourd'hui, le processus de transition avait non seulement, et
avant tout, préjudicié gravement à la population congolaise mais il avait également fini par lasser, puis détourner, aussi
progressivement que dangereusement, l'attention d'une communauté internationale déjà en proie, depuis la fin des années 80,
aux doutes de la development fatigue. À telle enseigne qu'il n'est pas du tout présomptueux d'affirmer que la réinscription
de la RDC à l'agenda de la communauté internationale, à partir de 1999, a sans doute exclusivement tenu à l'engagement, aussi
inopiné qu'opiniâtre, d'une personnalité politique belge, et non pas à la prétendue attraction planétaire des richesses du
pays. Certes des richesses réelles, mais agitées comme tant de chimères pendant des décennies par des dirigeants qui avaient
trouvé là l'alibi commode leur permettant de justifier indirectement à leur population son état de misère dans laquelle,
en réalité, c'était eux-mêmes qui s'employaient à la confiner. En d'autres termes, et malheureusement, à l'instar de l'ensemble
des économies subsahariennes, celle de la RDC ne compte virtuellement pas dans les échanges internationaux et sa déconfiture,
le cas échéant, passerait globalement inaperçue, en Belgique et dans le monde.
Un signal civique
L'enjeu ex ante de ces élections était donc bien celui du risque d'une indifférence internationale définitive vis-à-vis de
la RDC, aussi redoutable qu'envisageable au regard de l'abandon total, bien plus rapide, de la Somalie au début des années
90. Loin des Cassandre, même les observateurs avertis de la scène congolaise n'écartaient plus cette hypothèse mais c'était
sans imaginer l'extraordinaire signal civique et politique qu'allaient donner plus de 25 millions de citoyens en signifiant,
par leur enrôlement volontaire massif, leur pleine conscience de pouvoir, enfin, imprimer un cours réellement citoyen, démocratique,
à l'Histoire de leur pays. Cette leçon, les électeurs l'ont, ensuite, rééditée à deux reprises à quelques semaines d'intervalle,
avec, d'une part, une conduite globalement exemplaire dans le déroulement des différents scrutins et, d'autre part, une maturité
politique manifeste en ne cédant pas à la tentation d'une dispersion des voix. Et ce, tant au niveau de l'élection présidentielle
que des élections législatives. La population congolaise a ainsi démontré au monde qu'elle avait toute capacité à répondre
aux attentes placées en elle. Par son vote franc, massif et lucide, elle a aussi démontré qu'elle est a priori tout à fait
capable de discernement dans le choix de dirigeants appelés à répondre, en aval, aux enjeux de société, particulièrement cruciaux
dans le cas de la RDC.
Une année symbolique
Nous l'avons vu : 2005 a valeur de symbole. Aussi parce que, la même année, la Banque mondiale estimait l'espérance de vie
à la naissance à 45 ans en RDC, soit sous la moyenne subsaharienne, pourtant elle-même déjà fort éloignée des autres régions
du monde. Considérant le faisceau de paramètres constitutifs du niveau d'espérance de vie, cela permet aisément d'extrapoler
l'ampleur des défis qui se posent, dès aujourd'hui, aux dirigeants de demain, dans un État dont les gestionnaires n'avaient
jamais assumé dignement leur mission dans aucun secteur humainement sensible ou économiquement vital.
Alain Verhaagen Africaniste, chargé de cours à Soco (désigné expert dans une quinzaine de missions internationales d'observation électorale
en Afrique subsaharienne depuis 1993)
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L'enjeu, en amont, des élections en RDC et leurs enjeux, en aval, pourraient se résumer à l'étonnant produit 2005 = 2 x 45
! Mais le paradoxe n'est là qu'apparent car, au-delà de la boutade, ces trois simples nombres donnent la mesure, à la fois,
de la responsabilité des dépositaires successifs de la chose publique, depuis l'accession de ce pays à la souveraineté internationale,
ainsi que de la détresse polymorphe dans laquelle les Congolaises et les Congolais s'échinent à survivre et qui érode lentement
mais systématiquement l'espoir d'une condition humaine décente d'existence au fil des générations, depuis 1960.
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