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esprit libre

[à l'université]
 
 
 
L'ULB à l'épreuve de ses valeurs

La seconde guerre mondiale a fait vaciller le monde dans l'horreur absolue, celle des camps, du génocide, de la dénégation totale de l'être humain. La déclaration des droits de l'homme de 1948 traduit ce désenchantement : " dans son préambule, elle fait écho aux actes de barbarie, à ce traumatisme, et lance un crédo : plus jamais ça ", explique Emmanuelle Danblon (chercheur qualifié FNRS et maître de conférences). Avec son petit groupe de doctorants (dans le cadre du Laboratoire de linguistique textuelle et de pragmatique cognitive), elle étudie, entre autres, la déclaration de 1948, en la comparant à celle de 1789. Et elle relève les paradoxes que ces deux versions ont incidemment créés. Comme par exemple d'inciter à multiplier des lois liberticides antiracistes qui finissent par se retourner contre les démocrates.

" Le problème, explique Emmanuelle Danblon, est profond. Les valeurs laïques sont celles que nous nous sommes choisies. À nous de les défendre et de les revaloriser ". Malheureusement aujourd'hui, on a perdu l'habitude d'argumenter. Or le pouvoir de défendre un choix, une position, armés d'arguments est essentiel dans ces moments de fragilisation intense que nous connaissons.

Enjeux pour l'Université

À cet égard, les moments difficiles que notre communauté universitaire aura connus en ce début d'année (polémiques autour de trois projets présentés au CA : vente de terrains, " Sicafisation " des logements, carte multifonctions) sont sans doute aussi symptomatiques du malaise général. Notamment lorsque certaines personnes, en majorité des étudiants, émettent des doutes sur la sincérité de l'institution quand elle revendique ses valeurs. D'autres ne reconnaissent plus la légitimité d'un système de démocratie participative interne mis en place depuis mai 68 au sein de l'Université. Pour Emmanuelle Danblon, l'autorité - de manière générale - fait l'objet elle aussi d'un grand désenchantement. " Dans toutes les sociétés démocratiques, il faut considérer l'autorité comme un rôle conventionnel que l'on adopte à certains moments, en suivant des codes. Or certains se sont attaqués aux personnes. Par ailleurs, nous étions ici face à deux blocs parfois pris dans leur propre caricature. Ce qui s'est passé a néanmoins des vertus positives : on ne peut plus faire l'impasse du débat sur la crise des valeurs. Mieux : on peut y faire face ensemble ".

En tant que conseillère du recteur, la chercheuse propose d'ailleurs plusieurs pistes d'actions pour réactiver les valeurs revendiquées par l'Université et retrouver l'esprit d'un libre examen sans complexe. Comment y parvenir ? Il s'agit d'abord de fournir des outils à chacun. En offrant par exemple des formations à l'argumentation au sein de l'Université, tous corps confondus. " Plus on est armé pour le débat, mieux on peut être acteur de celui-ci ".

Au-delà de l'argumentation, il s'agit aussi d'essayer de renouer avec les émotions, dans le cadre de moments festifs et commémoratifs : " Nos sociétés ont peur des émotions collectives. Cette méfiance est un héritage des Lumières. Beaucoup ont la sensation imprécise - mais parfois justifiée - qu'elles s'apparentent à de la propagande. Il s'agit de réinventer des lieux, des moments et des actions où chacun se retrouve, dans tous les sens du terme ".

Reprendre du terrain

Autre chantier à remettre en oeuvre : faire en sorte que la figure de l'intellectuel retrouve sa place. Qu'elle permette à nouveau d'éclairer la Cité et ses représentants politiques sur les matières sociétales et éthiques qui font problème. " Toutes les facultés sont concernées. Comment combattre l'obscurantisme qui revient de manière insidieuse si ce n'est en proposant l'éclairage des sciences exactes contre l'irrationnel, du droit et des sciences sociales en matière de lois, etc. Trop longtemps on a laissé le terrain des valeurs et de ses enjeux en friche. D'aucuns, partisans des extrêmes, en ont profité pour, sous couvert d'argumentation - un nouvel habit qu'ils se sont empressés de revêtir - utiliser des raisonnements qui pervertissent les valeurs auxquelles ils prétendent se référer. À nous de regagner ce terrain, sans tabous ". Emmanuelle Danblon ne cache pas que cet élan est emprunt d'une certaine utopie. Mais comment avancer si l'on n'est plus animé par un idéal pour la société ?

Dans le miroir

Enfin, il s'agit pour chacun de pouvoir se regarder dans un miroir et même... d'en rire ! Retrouver cette capacité revendiquée au blasphème, à l'ironie, à la critique tendance poil à gratter, en pratiquant l'auto-dérision. Bref, pouvoir se regarder en face, dans la glace, en se posant la question des valeurs - libre examen et cie - et en se disant : est-on blanc de toute critique ? Emmanuelle Danblon prévoit d'ailleurs à cet égard, début 2007, quelques événements accrocheurs, notamment un concours de caricatures qui s'adressera à la communauté des membres de l'ULB, etc.

Alain Dauchot


Repli identitaire, retour des intégrismes, des intolérances, des relativismes... Aujourd'hui, l'irrationnel et le refuge dans les extrêmes trahissent l'angoisse, la peur, le besoin de repères de nos contemporains face à la faillite des valeurs : les nôtres, celles héritées du XVIIIe siècle en Europe. Face à cet écroulement, l'Université reste sans doute un rempart essentiel, le lieu où réinterroger le sens de nos choix. Mais l'Université, elle aussi, souffre du désenchantement de ses propres valeurs. Alors, que faire ? Rencontre avec Emmanuelle Danblon, conseillère du recteur pour ces questions.



 
  ESPRIT LIBRE > DECEMBRE 2006 [ n°45 ]
Université libre de Bruxelles