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La valse des planètes To be or not to be... a planet ?

L'image de l'assemblée de l'Union astronomique internationale où des savants, munis de cartons de couleur, votaient pour décider du nombre de planètes de notre système solaire a laissé le public largement perplexe. Comment était-il possible que des scientifiques soumettent au vote un fait tel que le nombre de planètes ? Et de quel droit, les astronomes remettaient-ils en question une notion si enracinée dans l'inconscient collectif ? Le caractère émotionnel de la réaction relayée par les médias s'explique justement par le fait que la composition de notre système solaire est une des rares données que le public s'imaginait être sûr de connaître, et ce d'autant plus que ce savoir semblait, a priori, très éloigné de toute controverse. Ainsi, une fois que l'on a découvert un corps céleste, il paraît difficile d'imaginer que l'on puisse en contester la présence, n'est-il pas ?

Les vagabonds de l'espace

Depuis des temps reculés, bergers et marins, autant qu'astronomes et prêtres, se sont intéressés au mouvement des planètes. Mais celui-ci n'allait pas sans poser, déjà, quelques problèmes, car il introduisait dans la mécanique céleste un désordre qui contrariait, de façon évidente, l'idée d'un ciel parfait, statique et divin. L'agitation des planètes, trop à l'image des convulsions humaines, leur a valu le nom d' " astres vagabonds " (étymologie du mot planète). Dernière recrue du cortège des planètes tournant autour de notre soleil, Pluton a été découverte en 1930, après une recherche acharnée et très orientée, car sa présence était prédite par le modèle de notre système solaire.

Aux confins de l'espace

Pluton, c'est loin ! Plus de 6 milliards de kilomètres, c'est un long chemin à parcourir avant qu'une sonde n'y parvienne. Ceci explique que nos connaissances sur Pluton soient relativement minces. Néanmoins, on savait depuis sa découverte que cette petite planète, pas vraiment sphérique, tourne sur une orbite en dehors du plan de l'écliptique. Cette anomalie en faisait un cas particulier. Dès les dernières années du XXe siècle, un nombre croissant de données rendaient le débat autour du statut de Pluton indispensable. En effet, avec l'amélioration des instruments d'observation, plus de 150 objets comparables à Pluton, tant par la taille que les caractéristiques orbitales, ont été mis en évidence. Cet amas de cailloux et sans doute beaucoup d'autres, pas encore visibles, forment la Ceinture de Kuiper. Sont-ils des planètes pour autant ?

Un problème de vocabulaire

Concrètement, sur quoi ont porté les délibérations des astronomes réunis à Prague cet été ? La question soumise au vote a été la définition de planète, proposée par un comité de " sages " qui a travaillé pendant plusieurs années afin de formuler le concept de façon à incorporer un maximum des données observées à ce jour, concernant notre système solaire mais aussi les planètes d'autres systèmes dans notre galaxie ou en dehors. L'apprêté des débats illustre la difficulté de choisir les critères les plus significatifs à retenir pour une définition et illustre, tout autant, le caractère un peu arbitraire de la décision finale. Jusqu'au jour du vote, des groupes de scientifiques apportaient des amendements à la proposition initiale, de sorte à permettre de tenir compte de telle ou telle donnée importante à leurs yeux.

Des tas de sable

Au plus haut niveau des discussions savantes comme dans la plus humble de nos activités quotidiennes, le problème posé par le caractère flou des limites d'une définition est omniprésent. Pouvoir classer avec rigueur et efficacité des objets, des organismes ou des messages préoccupe autant les scientifiques qu'une bonne secrétaire. Pas seulement pour que l'on puisse retrouver les objets classés, mais aussi parce qu'un consensus sur un concept est indispensable pour pouvoir le penser et communiquer avec nos semblables.

Cette question a passionné des générations de philosophes depuis l'Antiquité grecque, comme l'illustre le paradoxe sorite plus connu sous le nom du problème du tas de sable. Tout le monde sait ce qu'est un tas de sable : il est constitué d'un très grand nombre de grains... de sable. Il est clair que, si on en retire un grain, il s'agira toujours d'un tas de sable. Procédant de proche en proche, quand considérerons-nous qu'il cesse d'être un tas de sable ? En faisant le raisonnement dans le sens opposé, c'est à dire, en partant d'un grain initial auquel on ajoute successivement d'autres grains, à quel moment la majorité des observateurs considérera qu'il est face à un tas de sable ? Il y a aussi gros à parier que, selon que l'on est parti d'un grain ou un tas de sable, la frontière se situera à un seuil différent, car l'observateur est toujours influencé par le cheminement de sa pensée et par son expérience.

La morale de cette histoire

Le vagabondage de la définition de planète illustre remarquablement la manière dont la communauté scientifique construit, ensemble, les savoirs. C'est un travail sans fin et, en ce qui concerne les planètes, préparons-nous à de nouveaux débats car, s'il y a eu vote sur la définition du mot, les observations scientifiques ne manqueront pas de les alimenter.

Marie-José Gama
ActuSciences, Inforsciences

Dans le courant du mois d'août dernier, les médias ont accordé une large place au débat des astronomes autour de la composition de notre système solaire. En l'espace de quelques jours, le public ébahi l'a vu passer de neuf à douze planètes pour soudainement se rétrécir et n'en compter plus que huit.



Dossier complet d'ActuSciences sur : http://www.ulb.ac.be/inforsciences/

 
  ESPRIT LIBRE > DECEMBRE 2006 [ n°45 ]
Université libre de Bruxelles