fermerclose

Aspirante FNRS en Faculté de Philosophie et Sciences sociales, Anne-Sophie Crosetti est en quatrième année de thèse de doctorat. Sous la direction de Valérie Piette et de Guy Lebeer, elle étudie les plannings familiaux d’origine catholique en Belgique, sur la période 1960-2000. Son projet s’inscrit dans l’Action de Recherche Concertée (ARC) "Une spécificité belge? Révolution sexuelle et (dé)pilarisation de 1960 à 2000. Une contribution à l’histoire de la transformation des normes de genre et de sexualité".


Anne-Sophie.Crosetti@ulb.ac.be

fermer la fenêtre
English version
Retour aux 12 mois, 12 experts




Experts pour la presse:

Cliquez ici et découvrez des experts de l'ULB, à propos des questions de genre, de la révolution sexuelle, de l'IVG, des effets de la dépénalisation de l’avortement sur la santé des femmes, du statut juridique de l’avortement, etc.

Tous les experts pour les 12 événements de l'année

Septembre 2018 - Dépénalisation de l’avortement

Anne-Sophie Crosetti, Striges (Maison des Sciences humaines) & METICES


“Dépénalisation de l’avortement: une supercherie”, titrait l’éditorialiste en chef du journal Le Soir, Béatrice Delvaux. Anne-Sophie Crosetti, rappelez-nous pourquoi la dépénalisation de l’avortement a soulevé critiques et déceptions.

La loi sur l’IVG de 1990 autorisait l’avortement sous certaines conditions, mais en le laissant dans le code pénal. Même si les poursuites pénales ont été rares lorsque les conditions n’étaient pas respectées, symboliquement, la loi faisait de l’avortement non pas un droit mais bien une exception, moralement condamnable. Or, après des mois de débats, aujourd’hui, l’avortement n’est toujours pas un droit en Belgique: qui a recours à ou qui a réalisé une IVG en dehors des conditions fixées par la loi peut toujours faire l’objet de poursuites pénales. Dans les faits, l’avortement n’est donc pas "dépénalisé". Les conditions ont peu évolué entre la loi de 1990 et celle de 2018. De nombreux experts demandaient notamment d’allonger le droit à l’IVG, à l’instar des Pays-Bas ou du Royaume-Uni, restreint à 12 semaines en Belgique; mais ils n’ont pas été entendus. Pourtant, chaque année, 500 à 1000 femmes doivent se faire avorter à l’étranger parce qu’elles ont dépassé le délai légal belge. La nouvelle loi est très critiquée parce que paternaliste, culpabilisante pour les femmes, moralisante…


La Belgique était-elle précurseur en 1990?

Non puisqu’en 1990, dix-huit pays de l’Union européenne avaient déjà légiféré sur l’avortement et l’autorisaient partiellement. En Belgique, la question de l’IVG est posée dès la fin des années 1960; les clivages communautaires et philosophiques sont alors forts, les débats vont durer une vingtaine d’années et aboutir à une loi "compromis". Tout comme en 2018.


La Belgique va-t-elle à contre-courant de l’Europe?

Non, il y a dans toute l’Europe un retour des forces conservatrices sur l’avortement et plus globalement sur toutes les questions de sexualité. En France, dès 2013, la Manif pour tous conteste le droit à l’avortement. Depuis 2015, en Espagne, les mineures d’âges doivent avoir l’autorisation de leurs parents pour demander une IVG. Au Portugal, les frais liés à l’intervention reviennent aux femmes. En Italie, plus de 70% des médecins se déclarent objecteurs de conscience et refusent de pratiquer l’IVG. On le voit, même si la loi l’autorise, en pratique, en 2018, cela peut être compliqué d’avoir recours à l’avortement.


La loi sur l’avortement à peine sortie, un nouveau débat s’est engagé au Parlement belge: la reconnaissance de l’enfant sans vie.

En effet, certains observateurs ont d’ailleurs parlé de troc: on aurait voté la loi sur l’IVG à condition de reconnaitre ce droit à inscrire à l’état civil un enfant né sans vie. La loi belge permet déjà une reconnaissance légale de l’enfant né sans vie, à partir du 180ème jour de grossesse. Ici, on ouvrirait ce droit à partir du 140ème jour en plus de l’inscrire à l’état civil. Or, 20 semaines, c’est le délai auquel beaucoup voulaient étendre l’IVG... La question du statut du fœtus pose question; la dimension symbolique est forte; elle peut augmenter le sentiment de culpabilité lors d’un avortement. En Italie, par exemple, le mouvement pro-vie crée des cimetières de foetus auxquels ils donnent un nom, une tombe.


En 1969 s’affichaient les slogans féministes tels que "Mon corps est à moi" ou "Le privé est politique". En 2019, le combat pour le droits des femmes semble toujours d’actualité.

Oui. C’est bien sûr moins dangereux de subir une IVG aujourd’hui que ce l’était dans les années '60. Et heureusement, la place des femmes dans la société a évolué en 50 ans. Mais il reste encore beaucoup de combats à mener - #MeToo en est une illustration - pour asseoir les droits des femmes dans leur diversité de profils et parcours; d’autant plus qu’on assiste à un retour conservateur en Europe. En 2019, la voix des femmes mais aussi celle des personnes LGBT se feront sans doute entendre.

Rappelez-vous

Mercredi 19 septembre

La commission de la justice de la Chambre approuve la proposition de loi qui sort du Code pénal l’interruption volontaire de grossesse mais ne la dépénalise pas: un vote des quatre partis de la majorité, soutenus par le CDH, contre l'opposition. Quelques jours plus tard, la Chambre votera la loi: 84 voix pour, 39 contre et 5 absentions.

Les centres de plannings familiaux, le mouvement laïc ou encore les associations de défense des droits des femmes expriment leur déception. Après des mois de débats, et contre l’avis de nombreux experts auditionnés au Parlement, la loi est à peine modifiée; et les poursuites pénales aux "contrevenants" restent possibles.