Chaque mois, l'ULB et son Union des anciens étudiants éditent un magazine intitulé "Esprit libre". Pour permettre au plus grand nombre de le lire, notamment nos diplômés séjournant à l'étranger, nous vous proposons ici une version "Web" du magazine. Pour des raisons de simplicité et pour vous éviter le chargement de fichiers trop lourds, cette version a sa mise en page propre dans laquelle nous avons choisi de ne garder que les textes et de ne pas reprendre les illustrations.

Le " Times" (*) a récemment publié un palmarès des universités au plan mondial. J'y ai découvert avec plaisir que notre université est classée 15e parmi le millier d'universités que compte l'Europe et 54e au niveau mondial parmi près de dix mille universités. Ce classement constitue une belle reconnaissance du travail accompli par l'ensemble de notre communauté universitaire. Certes, il s'agit d'un classement relatif qui doit être considéré avec notre proverbial esprit critique. N'empêche : nous avons le droit d'en être fiers.

Mais il appelle une question fondamentale : aujourd'hui, quelle est la valeur de l'Université, de notre Université ? Depuis les origines, nous entendons promouvoir la libre-pensée et la laïcité, poursuivre des idéaux de démocratie, de tolérance, d'esprit critique et rechercher la vérité, les vérités. Mais ces valeurs fondamentales, ces principes, comment irriguent-ils la réalité ? Ne vivons-nous pas dans une forteresse intellectuelle de moins en moins privilégiée, battue par les flots de plus en plus furieux de la dérégulation et de l'utilitarisme à courte vue ? Le beau rêve de Verhaegen va-t-il imploser dans le mercantilisme, le communautarisme et l'individualisme exacerbés ? Nous observons tous une distance croissante entre le monde de l'université et le monde universel. Rupture des liens traditionnels et institutionnels, recherche du plaisir immédiat, commercialisation croissante et massive.

Que faire ? Comment promouvoir nos valeurs dans ce monde-là ? Pour y parvenir, je vous propose trois pistes. Primo, au sein de notre institution, favoriser la solidarité contre l'individualisme, la cohérence contre la dérégulation. En effet, la logique économique du marché s'oppose à la volonté humaniste de préserver des liens entre les gens sur la base, non du profit, mais de la générosité, de l'émotion, d'un projet, d'une identité partagée. Dès lors, si nous voulons garder la cohérence de notre communauté universitaire, la collégialité, les échanges entre collègues, entre enseignants et étudiants, entre les différents personnels et les différentes disciplines seront donc de plus en plus vitaux.

Secundo : des moyens publics pour un service au public. Sans les moyens de son indépendance et de son développement, l'université est condamnée à s'inscrire dans une logique mercantile qui va la dénaturer. Nos gouvernants ont donc le devoir de lui conserver les moyens de l'autonomie et de protéger ces lieux ouverts où règnent encore l'échange désintéressé et le débat qui nourrit le jeu démocratique.

Tertio : une réponse active aux défis que nous posent la globalisation et l'interculturalisme : la laïcité. En effet - et même si nous le déplorons -, cette valeur de laïcité n'est pas universellement partagée, loin s'en faut ! Partout, nous voyons resurgir des conceptions et des attitudes d'un autre âge. Le Mal, c'est l'Autre. Il faut faire triompher la Vérité Unique au prix de la barbarie la plus infâme. Dieu conduit nos pas. Toute certitude se trouve dans les livres saints. On est sommé de choisir son camp, celui des Croisés ou celui de Saladin. Nous sommes envahis par les amalgames et les spiritualismes de bazar. L'Islam des Lumières, qui a tant contribué à notre civilisation, est pris d'assaut par le fondamentalisme. Nous risquons de nous retrouver entre les feux croisés de l'extrême droite et des intégristes de tout poil sous l'œil morne d'une société de spectateurs atomisée par le tout-profit. Perspective insupportable !

Dès lors, laïcité, moyens et solidarité : tels seront les chantiers auxquels je vous invite à travailler, afin de garantir nos plus belles valeurs. Celles héritées des Lumières.

Pierre de Maret
Recteur de l'ULB